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Pierre Malphettes

la fumee blanche

Pierre Malphettes la fumee blanche

source: documentsdartistesorg

Construite non pas à partir d’un médium mais en s’appuyant sur l’utilisation quasi -exclusive d’un unique matériau, l’exposition Blanc Néon s’accorde invariablement à la lumière. Le néon des enseignes publicitaires, des appels tapageurs à la consommation, y est traité en parfaite opposition à sa nature première. Substituant la temporalité d’œuvres d’art qui appellent une expérience sensible, à la fugacité des messages qui s’impriment et s’effacent subrepticement sur la rétine, Pierre Malphettes contrecarre les réflexes du regard et, à côté de nombreux autres, invente un nouveau rapport à l’objet lumineux. La vibration contre le clignotement, tel pourrait être en substance le parti-pris (quoi que…), mais avec l’envie de renvoyer à la géographie visuelle du monde contemporain, à l’atmosphère de nos nuits éclairées.

Symboliquement, travailler la lumière électrique c’est aussi penser l’éveil là où l’obscurité demeure, faire de la pénombre le germe des possibles. Le néon ne s’oppose pas à la nuit, il la rend vivante comme elle le rend brillant. Bien que fondamentalement différentes, les œuvres de Blanc néon semblent afficher leur envie de faire de l’obscurité l’endroit privilégié de leur apparition. Comme s’il y avait là quelque-chose à révéler avec plus d’acuité. Dans le théâtre des ombres, les sculptures lumineuses se dépassent et irradient le monde, elles s’attaquent à l’espace de la vie.

Bien que dénué d’une quelconque fonction funéraire, personne ne s’étonnera vraiment de rencontrer quelques crânes humains dans l’espace semi-enterré d’un cryptoportique datant de la fin du premier siècle avant J.C. L’imaginaire fait le travail en mettant de côté la raison historique et Les deux crânes, ou le baiser trouve alors dans ce contexte l’endroit d’une évidence. Un néon sur un plan ovoïde reprend le dessin esquissé de deux crânes enchevêtrés qui semblent s’embrasser. L’œuvre place la vanité comme préalable à l’exposition. Traduisant de manière allégorique la nature éphémère de la vie humaine, la vanité se dialectise ici par un baiser. Dans la pièce de Pierre Malphettes, ce qui fait la vie rejoint ce qui l’érode, la passion du temps côtoie la résignation de son manque. L’antagonisme symbolique qui s’affiche renvoie à la dualité du sentiment de vie (la fragilité, l’immortalité). Si la vanité a toujours porté une philosophie de l’instant présent, elle acquiert ici une dimension résolument romantique. Il faudrait sans doute savoir ce qu’un sujet peut entretenir de rapport intime avec un auteur pour livrer une interprétation sensible de l’œuvre, cependant on peut sans mal reconnaître dans cet enlacement osseux une forme d’universalité de l’incertitude. Les deux crânes, ou le baiser dit le point d’équilibre sur lequel l’Homme tente d’exister, entre la toute puissance et l’insignifiance.

Rapporté à la figure de l’artiste, ce point d’équilibre se donne à voir dans une pièce au titre évocateur : Le doute. Un tube fluorescent d’apparence standard clignote, laissant penser à son dysfonctionnement. L’œuvre renoue avec la forme originelle de l’objet, dans une moindre mesure avec sa fonction puisqu’en guise d’éclairage elle alterne la lumière et son contraire. Il conviendrait d’être suffisamment consciencieux, attentif et connaisseur pour pouvoir décrypter la phrase qu’elle bégaie en morse, on pourrait alors entendre, à travers la cadence visuelle qu’elle impose, la voix de Bruce Nauman : « The true artist is an amazing luminous fountain ». Œuvre ventriloque et métonymique, Le doute, lettre après lettre, reprend l’énoncé mis en place par l’artiste américain dans une pièce de 1966. Mais la phrase, lancée dans l’espace, se cogne invariablement contre les murs voutés manquant de rencontrer l’interlocuteur qui pourra la lire et donc la valider. Le vrai artiste, brillant, surprenant, fructueux, celui qui engrange les qualités de l’excellence entrevoit l’échec. Avec humour, Le doute ré-envisage la figure du démiurge étincelant et lui oppose, pour tempérer, celle du looser incompris. Trivial et défaillant, l’objet sculptural s’efface au profit d’un espace sensibilisé par la lumière blanche d’une affirmation hésitante.

Pierre Malphettes n’a jamais porté une attention particulière aux médiums, on pourrait même dire qu’il organise une production qui tend à désespérer les catégories. La sculpture dessine, peint, installe, elle se contorsionne pour expérimenter, pour s’attaquer au régime de l’image, à l’environnement. L’immobilité figure l’achèvement, à l’inverse déréguler la nature des choses permet d’engager une relation active à l’art, au monde. Le travail de l’artiste cherche alors le point de réversibilité des matériaux. Les lourdes poutres d’acier dessinent de la dentelle, le frêle tube de verre traverse la brutalité d’un cube de béton, la rugosité mat d’une plaque d’acier se mue en miroir lustré… tout se joue dans le déplacement, contre la finalité.

À défaut d’être un terme, la traversée d’un paysage est une échappée et La ligne peut être considérer comme un territoire à arpenter. Se déployant dans l’espace, une ligne de lumière blanche, imparfaite, dessine des creux et des pics, elle s’avance et recule, se déplace visuellement quand le spectateur le fait physiquement. Elle fluctue et ne dit rien de ce qu’elle est. Une crête autant qu’une courbe mathématique ou un rythme, elle appelle toutes les représentations dans la sienne. Sa légèreté ondoyante contredit la masse orthonormée des nécessaires pieds qui la soutiennent. Au détour de leur arborescence d’angles droits, ils font ressurgir la gravité là ou le néon l’omettait. D’emblée, ils posent la lutte du fonctionnel et du figural. Et de cette opposition nait un système, un rapport singulier qui invente une écriture. « Ce que nous appelons une « carte » dit Gilles Deleuze, c’est un ensemble de lignes fonctionnant en même temps. (…) Il y a des lignes qui représentent quelque chose, et d’autres qui sont abstraites. Il y a des lignes dimensionnelles et d’autres directionnelles. Il y a des lignes qui, abstraites ou non, font contour, et d’autres qui ne font pas contour. Celles-là sont les plus belles. » Il y a des lignes qui plantent dans le sol la réalité d’un objet, il y a des lignes de lumière artificielle qui flottent dans l’air. La rencontre de ces lignes qui font ou non contours, met en place un dialogue, crée un langage formel qui invite au mouvement et s’adresse par l’œil au corps. On pourrait presque considérer La ligne comme une œuvre chorégraphiée tant la gestualité transparait. En fait de ligne, c’est un tracé, alliant posture et déplacement, qui se donne à voir.

Contre l’immobilité Pierre Malphettes porte également une attention particulière aux principes d’apparitions d’éléments volatils. Paradoxalement, c’est dans ce qui se résout en vapeur qu’il situe la substance de ce qui doit faire œuvre. Le brouillard, le nuage, l’arc en ciel, le ruissellement de l’eau, la trajectoire d’une mouche, la chute d’une feuille… sont autant de phénomènes dans lesquels il chasse l’infime moment d’un commencement. La fumée blanche se donne à voir comme une de ces origines. La sculpture dessine les volutes aériennes d’un feu électrique essoufflé, celles-ci s’entrelacent et virevoltent, répondant par la verticalité à l’horizontalité de La ligne. Il y a quelque-chose de contre-nature à figurer la fumée par le rayonnement de gaz néon en tube, mais reproduire par l’artifice un phénomène ordinaire c’est aussi tenter, avec les moyens de l’art, l’expérience de l’événement. L’artiste dénature afin de reconstruire un visible intelligible. Il synthétise (à comprendre dans tout les sens du terme), fait apparaître la possibilité de capter par les sens ce qui se joue d’essentiel dans la fragilité de moments déjà dissouts.

Il ne faut pas prendre le travail de Pierre Malphettes pour une démonstration, ses œuvres et ses sujets ne se situent jamais sur le même plan. Si l’artiste s’intéresse à la science, son langage reste indéfectiblement lié à l’expérience artistique. En même temps qu’il travaille aux frontières d’une mutation des médiums et des matériaux, il s’attache à déterritorialiser ses sujets afin d’accorder qualité d’œuvres aux regards curieux et poétiques qu’il porte sur le monde.

Guillaume Mansart
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source: documentsdartistes
Le travail de Pierre Malphettes est à l’image d’une de ses œuvres, il agit sur nous comme un attracteur étrange. En travaillant principalement des matières intangibles telles que l’air, la lumière, l’eau, ou bien encore des matériaux bruts, de construction (la bâche, le caillebotis), Pierre Malphettes matérialise des espaces mentaux qui évoquent le voyage, le parcours. La poésie naît d’un déplacement contrarié, impossible, voire inconcevable : une échelle en croix et trop petite, donc impossible à gravir (“Les échelles et leurs potentiels”, 1997), un sol qui se dérobe sous nos pieds (“Haut, Bas, une expansion”, 1997), un plan de Paris où ne subsistent que les sens interdits (“Paris sens unique”, 2000). Tout cela forme l’étonnante grammaire d’un artiste, qui, par une apparente économie de moyens, nous invite à “traverser l’impossible”.
Toutes ces œuvres tendent à rendre inutiles – ou du moins parcellaires – les notions d’intérieur et d’extérieur, de haut et de bas, de solide et d’évanescent. Si le centre est un séisme permanent, si les notions de repères précis, de stabilité et de matière solide disparaissent au profit des notions de réversibilité, de décalage et de fugacité (“l’impermanence”, selon un terme de l’artiste), il en résulte une indétermination générale et une perte de repères qui est vécue ici dans l’expérimentation et la jubilation.
À l’origine des œuvres de Pierre Malphettes il y a en effet toujours un “chiche“, un rêve de môme : et si mon tapis volait ? et si le sol décollait ? et si des sacs plastiques tourbillonnaient jusqu’à plus soif, comme des poissons rouges dans leur bocal ? Pierre Malphettes nous entraîne dans ses rêves impossibles et la lutte pour y arriver (mais arriver où ? nulle part, l’artiste n’y tient pas…). S’approprier le monde par ce biais, c’est faire entrer le monde dans la pièce, c’est proposer une architecture intime qui met à mal tous nos repères. Les pièces et la scénographie proposées pour l’exposition à la Friche la Belle de Mai assument complètement l’omniprésence de cette notion, qui existait déjà en filigrane dans le travail de Pierre Malphettes,
“Le festin”, une des pièces proposées à la Friche, en est un exemple éloquent. Ses rêves de voyage imaginaire, jusqu’à présent Pierre Malphettes les conduisait seul. Pour la première fois, l’artiste a pensé, désiré et réalisé un voyage collectif. Alors bien sûr, le collectif ce n’est pas n’importe qui : ses amis devenus pour l’occasion à la fois acteurs, vidéastes et photographes. Le voyage ? : trouver un vaisselier, le remplir de la plus jolie vaisselle, y mettre de l’attention, garder le sens du détail, en sachant que tout ce qui sera fait, tout le soin et le temps passé à préparer ce “festin”, tout cela sera détruit dans un geste final, collectif et jubilatoire. Au détour du chemin, le spectateur pourra se promener dans “Le jardin”, mais dans une version urbaine et domestique, comme les affectionnent les enfants et les grands mères, un jardin un peu absurde, de celui qui ne côtoie pas les grands espaces mais les imagine le soir au fond du lit. Ici, entrez dans la “Light Cube House”, une cabane en bois bardée de fluos, comme échappée belle de quelque forêt de notre enfance. Là, une boule à facettes qui pleure, au titre évocateur : “le bal est fini”. Cette pièce pose un constat qui n’est ni nostalgique, ni mélancolique, “Le bal est fini” marque notre imaginaire par l’économie de moyens qu’il utilise (une boule à facettes qui pleure, ni plus, ni moins).
Avec un ensemble d’œuvres pour la plupart autolumineuses, et une scénographie privilégiant la déambulation, Pierre Malphettes nous propose ici un temps et un espace, bien plus qu’une succession d’images. L’artiste ne cherche pas à nous éblouir par sa virtuosité d’exécution. En nous permettant de voir l’envers du décor, il nous fait assister comme par effraction aux mécanismes secrets de sa poésie visuelle.
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source: artfinding

Born in Paris in 1970, Pierre Malphettes lives and works in Marseille.
In his installations, the artist evokes the journey and the route by working from materials such as air, water, light, or raw materials, as in Light Cube House (2002), Triangle France (2003 ) A tree, a rock, a spring (2006).
Firefly takes up and develops objects, images and situations installation Road Movie (2007).